mardi 23 août 2016

Y'A Pas L'Feu




Alors que je traverse à pied le village de Saint-Aubin-des-Bois en cette fin de matinée, je constate que l'effervescence s'est emparée de la petite bourgade de quelques centaines d'âmes. En ce dimanche d'août, le village du sud Calvados accueille son 36ème festival Rétro.
Tout à mon impatience de retrouver Rowena et John McDermott annoncés dans le programme, j'effleure par mégarde un solide barbu noyé dans la foule qui se presse à l'entrée du site de la manifestation. "Doucement, y'a pas l'feu", me jette-t-il à la figure avec cet air méchant qui va si bien à ces mâles qui ont choisi de cacher leur visage dans une épaisse broussaille pileuse.
J'ai à peine eu le temps de m'avancer de quelques dizaines de mètres à l'intérieur de l'aire réservée aux animations que près de moi, une dame d'un certain âge, le visage magnifiquement ourlé d'un amoncellement de rides déjà anciennes, lance à la cantonade : "Y'a l'feu !".


Tout à coup, en voyant une paire de percheronnes lancées au grand galop surgir de derrière une haie, je comprends qu'il se passe quelque chose d'important.
"Y'a l'feu, y'a l'feu !", crie la foule en pointant du doigt un tas de paille. C'est alors que je reconnais John McDermott et ses amis pompiers Martin Kerswell et Chris Drewitt engagés dans une opération éclair pour circonscrire un feu de paille qui, dit-on, aurait pour origine l'imprudence coupable d'une certaine Rowena McDermott.



Les deux percheronnes "anglaises" mais nées sur le sol français, Vitamine 7 et Verveine de Nesque, sont attelées à une rutilante pompe à incendie hippotractée. Ayant fini de jouer avec le feu, John McDermott m'accorde quelques minutes pour me présenter la pompe St Giles.
"Elle a été fabriquée à Londres en 1908 par la société Shand, Mason & Co. Elle a été commandée par Lord Shaftsbury dans le Dorset après qu'un incendie a détruit l'église locale. Elle a été utilisée jusqu'en 1946. Elle est dans notre famille depuis 1957 et nous l'avons présentée à maintes occasions en Grande-Bretagne et sur le continent".




En  fait, John, Rowena, Martin et Chris sont entre deux feux. Le second est prévu à 17 heures. Inutile de s'enflammer donc, j'ai tout mon temps pour une plongée dans le Rétro. Chaleur et poussière m'ont mis la bouche en feu. Alors, je commence ma visite par la buvette tout en jetant un coup d'œil circulaire à la fête qui fait feu de tout bois.


Oh, là-bas, près du maïs, j'en mettrais ma main au feu, ce sont des percheronnes. Je m'approche. Je reconnais Claude, Claude Léon, dans une version ancienne de Tournez, manège. Jean-Jacques, Jean-Jacques Léon, est aussi de la partie en "pailleux"-en-chef en charge d'alimenter la machine.
"C'est l'coup d'feu, on met en action le manège et la trépigneuse", me dit Jean-Jacques entre deux fourchées.



Sans vouloir jeter de l'huile sur le feu, j'explique à Jean-Jacques que j'ai bien vu leur manège, même si le public, lui, n'y voit que du feu.
"Votre paille est vraiment bien battue, c'est la même qui passe d'une batteuse à l'autre".
Jean-Jacques m'explique alors qu'il n'y en avait pas assez et qu'ils ont eu le feu vert de l'organisation pour procéder de la sorte.


Il  est presque 17 heures, je retourne voir les pompiers anglais sur le point de repartir à l'épreuve du feu. Cette fois, ils ont enrôlé un pompier local, tout feu tout flamme à l'idée de revêtir l'uniforme anglais.
Quelques minutes suffisent à cette cordiale entente anglo-française pour venir à bout de l'incendie qui, cette fois encore, n'avait rien d'accidentel. À voir la mine ravie de notre pompier local à la fin de l'intervention, on peut affirmer qu'il s'agissait d'un feu de joie.

Dans un contexte difficile où l'on se demande parfois si l'on n'est pas en train de voir nos races de trait mourir à petit feu, on ne peut que se réjouir de rencontrer quelques vaillantes percheronnes sous les feux de la rampe. Au moment de quitter Saint-Aubin-des-Bois me reviennent en mémoire les paroles de feu mon grand-père, cordier de son état, qui utilisait une jument percheronne pour transporter le chanvre à rouir dans les douves du château voisin, qui répétait à l'envi que pour travailler avec les chevaux, il faut avoir le feu sacré.

1 commentaire:

Sylvie MARTZ a dit…

J'adore, c'est super et superbement écrit